#MeeToGay 2 ans après… où en sommes-nous ? Libérons vraiment la parole

mercredi 08 février 2023

Aujourd’hui, cela va faire deux années que le lanceur d’alerte du #MeToGay n’est plus, et le constat est que très peu de collectifs se saisissent de la question des violences sexistes et sexuelles au sein de la communauté.

VSS 14«  Les critiques et les luttes ne s’exercent pas nécessairement dans les arènes politiques traditionnelles (...) et notamment là où la pseudo-séparation public/privé est source de technologies de contrôle social et politique, il y a de fortes chances pour que les activistes queers investissent des centres commerciaux  ou des panneaux publicitaires tout autant sinon plus, que l’Assemblée Nationale. »1 La gouvernance de l’intime dans notre société contemporaine est permise par les divers mouvements de la libération sexuelle mettant en lumière ce que le privé jusqu’à lors cachait aisément.  Ainsi si la politique  queer ne passe pas par l’Assemblée mais au travers des divers mouvements, encore faudrait-il comprendre pourquoi il demeure complexe de faire fédérer là où le #MeToo a résonné comme un cri d’alerte des atteintes faites aux femmes.   

Une des premières hypothèses demeure dans la manière dont les divers mouvements militants se sont saisies de la libération sexuelle dans l’obtention de droits.  Si aujourd’hui on constate que les affaires touchant à l’intimité des LGBT+ bien qu’elles suscitent elles aussi une sorte de révolte médiatique et politique, les initiatives, les collectifs s'essoufflent peu à peu, arrivant jusqu’à l’oubli, comme si ces luttes n’entraient pas dans une trame mémorielle pouvant s’inscrire dans l’histoire de la militance. Pour Guillaume Marche professeur de civilisation américaine spécialiste des mouvements sociaux contemporain aux États-Unis, « depuis l’après-seconde guerre mondiale, les mouvements homosexuels ont connu trois cycles au cours desquels ils ont oscillé entre des périodes de mobilisation et de démobilisation, de sexualisation et de désexualisation des identités collectives. »2 Le mouvement homophile, le communautarisme et la résurgence de l’activisme. Ces mouvements vont dénoncer à leur  manière le système patriarcal, à la seule différence que, là où les mouvements féministes dénoncent dans une organisation des catégories de genres l’usage de la sexualité comme mécanique de domination, les mouvement queer revendiquent un droit de vivre une sexualité.

Par exemple, l’anthropologue et militante féministe Gayle Rubin dans son analyse d’une politique du sexe va etablir le constat qu’autour du rejet de l’homosexualité va se dessiner une sorte de construction de l’ennemie dont les traces de certaines affabulations restent encore présentes malgré les décennies : “La répression des homosexuels pendant la guerre froide (...) (re)semblait une mesure d'hygiène puisque la vie gay était décrite comme misérable, dangereuse, abjecte et terrifiante. La répression a, en fait, abouti à dégrader la qualité de vie gay et à accroître le prix à payer pour être sexuellement différent (…) il paraît assez clair que la fin des années 1970 et le début des années 1980 ressemblent, sous bien des aspects au début de la guerre froide” 3

Dans cette configuration, il devient impossible d’entamer une militance sur la question des violences sexuelles car elle risque d’être utilisée à l’encontre d’une population dont le stigmate se renforce plus qu’il ne s’efface. Ce triste constat est mis en évidence dans l’ouvrage de David Island et Patrick Letellier, publié en 1991.  Dans la partie du livre s’intitulant “La communauté gay permet que cela se produise”4 les auteurs nous font part des quelques initiatives collectives rare et ayant eu peu d’ampleur dans la lutte contre les violences conjugales LGB, mais surtout un constat où les origines d’un déni de la question au sein de la communauté prendrait forme dans “l’embarras de la mauvais image aux yeux des autres, comme l’Amérique hétérosexuelle” que ces violences renvoient. 

Ce qui revient à dire que la question des violences sexuelles est un sujet qui demeure encore aujourd'hui délicat d’aborder dans le contexte LGBT+.

Ce qui nous mène à une seconde hypothèse dans la différenciation des luttes. Là où les féministes désignent l’autre sexe comme ennemi, cet autre devient même et donc soi dans la communauté LGB. Pour l’universitaire et militante du black féminism Gloria Jean Watkins (Bell Hooks) “La façon même dont le féminisme radical désignait tous les hommes comme des oppresseurs et toutes les femmes comme des victimes était une manière de détourner l’attention de ce que sont réellement les hommes, et de notre ignorance à leur sujet. En se contentant de leur coller l'étiquette d’oppresseurs et de les rejeter, nous évitions de montrer les lacunes dans notre conception des choses ou de parler de manière complexe du fait d’être un homme. Nous évitions de nous demander en quoi notre peur des hommes déforme nos perspectives et nous empêche de les comprendre.”5 Si l’on reprend ce schéma de pensée dans la dynamique des #MeToo, cet exercice s’apparente à une sorte de dénonciation publique de l’oppresseur. Mais dans la mesure où le #MeeToGay devient un cadre de l’entre soi masculin, dénoncer l’autre revient à se dénoncer soi dans l'épreuve de la masculinité. Si l’autre est un oppresseur, et que ce qui le définit est une sorte de prisme catégorisation genrée, alors la position victime participera à une sorte d’anormalisation. Une sorte d’échec dans le fait de pouvoir être considéré comme un homme en tant que tel. Mais dénoncer l’autre c’est également dénoncer ses pairs et donc devenir une sorte de “traître” . Là où les droit sociaux et parentaux encore récents et certains pas encore obtenus, il réside une peur de la communauté à l’utilisation publique et politique de la violence dans les couples de même sexe. Parce que dénoncer l’autre devient se dénoncer soi. Ainsi, là où Charlotte Buisson et Jeanne Wetzels disent du #MeeTo qu’il a « donné lieu à de nombreuses déclinaisons qui donnent à voir la pluralité spatiale et temporelle des violences sexistes et sexuelles dans la vie des femmes :#BalanceTonÉlu, #BalanceTaRédaction, #BalanceTaStart-Up, #BalanceTonBar. »  Le #MeeToGay donnera lieu à #JusticePourGuillaume. C'est-à-dire que la mobilisation collective autour d’une thématique à priori similaire ne va pas être générée par une même émulation. Ici, la lutte initiale contre les violences sexistes et sexuelles va être déplacée sur une sorte d’injustice entre la victimation d’un jeune étudiant face aux violences subies d’un homme de “pouvoir”. C'est-à-dire un glissement d’une lutte contre les atteintes sexuelles visant à lever le voile sur d’autres configurations de victimes vers une lutte contre le schéma patriarcal de domination d’un représentant de l’État sur un jeune citoyen.  Pour Island et Letellier “nous, en tant que communauté, ne comprenons pas le phénomène qui nous arrive (…) cela nous choque. Tout comme les victimes, nous ne savons pas encore comment y répondre.”6 Ainsi ce glissement serait significatif de l’ignorance en termes de mobilisation communautaire en ce qui concerne ces violences. 

Ces deux hypothèses tendent vers le constat d’une  communauté peu encline à porter le sujet. L’enquête qualitative de Susan Turell et son équipe visait à définir le degré de préparation des communautés LGBT à la prévention de la violence conjugale. Pour se faire, les chercheurs ont utilisés le Community Readiness Model (CRM) développé par le Tri-Ethnic Center for Prevention Research au Colorado déjà utilisé pour déterminer l'état de préparation de la communauté à aborder une variété de problèmes sanitaires et sociaux au sein de populations très diverses matérialisé par une échelle allant de 1 à 9 où 1’équivaut à l’absence de prise de conscience et 9 à un niveau élevé d’appropriation communautaire. Au total 81 entretiens ont été menés puis notés selon les critères du CRM afin d’en déterminer le degré d’implication de la communauté. Après analyse, les chercheurs concluent que « l'état de préparation général de toutes les communautés est de 3, soit une "vague conscience" (…) (Ce qui) indique que la plupart des gens croient qu'il existe une préoccupation locale, mais qu'ils ne sont pas immédiatement motivés pour faire quelque chose à ce sujet (...)Un thème dominant était que les hommes gay ne parleraient pas de la Violence entre Partenaire Intime (VPI) qu'ils subissent ; ce serait trop embarrassant et peu viril d'admettre être victime de violence, une violation de la masculinité traditionnelle. »7 

Ainsi les injonctions de genres ajoutées à la pensée du couple hétéronormatif renvoient à des freins pour la communauté de se saisir de la question des violences sexuelles au sein des relations intimes et amoureuses. Une autre donnée comme celle des subventions et financements versés à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles ou celle de la lutte contre les atteintes faites aux LGBT+ qui sont rares, ne vont pas être injectées dans une possible prise en charge de victimation LGBT+. En d’autre termes, à ce jour, les subventions ne vont pas être reversées à des associations ou collectifs LGBT+ pour ce type de prise en charge demandant même à ces derniers de le faire bénévolement.  Ce manque d’investissement du politique jusque là dans cette branche de la lutte comporte un frein encore plus saisissant empêchant d’encourager les actions collectives et donc une vraie prise en considération communautaire et social des victimes LGBT+ de violences sexistes et sexuelles. 

Si vous êtes victime ou témoin de violences conjugales et que vous souhaitez agir le dispositif #SignalementFLAG (www.flagasso.com/signalement) vous permet de signaler les faits et d’être à l’issue orienter si vous le souhaitez vers les bons interlocuteurs pour une prise en charge.

Il est important de signaler chaque acte du quotidien afin de nous permettre d’avoir de la visibilité sur la réalité vécue par les victimes car une plainte égale une victime mais impossible de connaître le nombre d’actes subis.

Nous comptons sur vous pour le faire connaître autour de vous.

 

1 Sam Boursier (2021), « Queer Zones : la trilogie », Éditions Amsterdam, Paris, p.161
2 Guillaume Marche, (2017), « La militance LGBT aux États-Unis : sexualité et subjectivité, Presse Universitaire de Lyon, Lyon, p. 35
3 Gayle Rubin (2020), “Surveiller et jouir : Anthropologie politique du sexe”, EPEL, Paris, p. 87
4 David Island, Patrick Letellier (1991), “Men Who Beat the Men Who love Them”, Routledge, New-York, p. 35
5 Bell Hooks, (2021(2004)), “La volonté de changer : les hommes, la masculinité et l’amour”, Éditions divergence, Paris, p. 12
6 David Island, Patrick Letellier (1991), “Men Who Beat the Men Who love Them”, Routledge, New-York, p. 37
Susan Turell, Molly Herrmann, Gary Hollander & Carol Galletly, (2012), “Lesbian, Gay, Bisexual, and Transgender Communities’ Readiness for Intimate Partner Violence Prevention”, Journal of Gay & Lesbain Social Services, 24(3):289-310


Association FLAG!

Intérieur et Justice

Soutien aux victimes LGBT+

FLAG! est membre de l'EGPA.
FLAG! est conventionnée avec le ministère de l'intérieur et le ministère de la justice.

Conforme au RGPD 2018.
Copyright © Association FLAG! - reproduction interdite sans autorisation.

Newsletters

Abonnez-vous à nos newsletters
et restez informé de toute l’actu de notre association